Who the fuck is Fergus Four Fingers | Finn & Lorenzo

T-shirt blanc à la base, désormais transparent et collant comme une seconde peau, par la faute d'une bande de festivaliers armés de pistolets à eau et amateurs de concours de t-shirt mouillés ; jean retroussé aux chevilles, les groles posées à côté de lui et les pieds dans le sable mou et humide, Lorenzo laissait l'eau salée — et limite glacée pour un gars des pays chaud — venir lécher ses arpions, les yeux sur le reflet déformé de la pleine lune à la surface des flots qui avait des faux airs d'une jaquette d'album de Joy Division. La flotte avait beau être salement frisquette dans le coin, les plages de l'île n'en restaient pas moins belles. Nichées pour certaines dans le creux de falaises abruptes, aux parois comme déchiquetées par la fureur des éléments, des langues de sable fin piquetées d'herbes folles s'étalaient en criques tranquilles. Quasi désertes, parce qu'un peu plus compliquées d'accès que celles du côté sud plus proches de la ville, et donc plus prisées par les touristes et les festivaliers.

On était quand même  pas à l'abri de tomber sur un couple de jeunes du coin venus se galocher à l'abri des regards parentaux potentiellement désapprobateurs. C'était plutôt mignon, ces coins secrets que tous les locaux connaissaient au final, mais où générations après générations, les lovebirds continuaient d'aller se compter fleurette avec la sensation de découvrir le Nouveau Monde, à la fois parce qu'ils se faufilaient dans un coin sauvage et parce qu'ils glissaient leurs mains sur des endroits qu'ils n'avaient fait qu'explorer en rêves jusque là. C'était mignon et ramenait Lorenzo loin en arrière, presque des éons avant la chaleur de cette nuit de juillet. Vers l'époque où il avait quinze piges, moins de problèmes mais plus de bouclettes et de boutons aussi. On peut pas tout avoir dans la vie! Du moins, pas tout de suite et surtout pas quand la puberté s'en mêlait. Lui s'emmêlait les pinceaux à l'époque, pas bien sûr de lui ni de ce qui ou de ce qui lui plaisait. En voyant le petit couple ressortant d'une grotte à flan de falaise piquer un phare et lui bredouiller un 'b'soir' a moitié gloussé, ça lui avait rappelé des souvenirs.

En réalité, mer ou océan étaient toujours une espèce de portail ouvrant sur sa vie au Mexique, dans sa mémoire. Le bruit des vagues berçait d'autres souvenirs dans son esprit, plus doux-amers mais dans lesquels il replongeait avec un certain plaisir. Avec l'idée de rentrer aussi, un jour. Peut-être. Ca avait été le but, la motivation en partie, du fiasco qui l'avait amené à s'échouer sur l'île. Ceana, qu'il apprenait de plus en plus à aimer dans des moments et des endroits comme ceux là. Au point qu'il ne savait plus bien où sa boussole pointait, ces derniers temps. Rester ? Partir ? Pour aller où ? Trop peu de liquidités avec son boulot de barman, pour se payer un voyage retour vers ses racines. Pour le moment, en tous cas. Et même si un rayon de lune était tout à coup venu frapper un X planqué dans les dunes et qu'il déterrait un foutu trésor pirate après avoir sué à pelleter des couches de sable plutôt quesa tombe... au fond, il n'était pas sûr qu'il prendrait le large pour retourner là bas. C'était en partie pour réfléchir à tout ça que Lorenzo s'était écarté du tumulte du festival. Un peu pour dégriser aussi, après une farandole de bières dont les bulles lui chatouillaient encore un brin la cervelle, presque aussi agréablement que l'écume lui chatouillait les doigts de pieds. Clope au bec, écouteurs autour du cou pour accorder son attention pleine et entière à la musique des vagues — royaume de la belle Yemayá, déesse-mère bienfaisante et protectrice que tous les santero respectaient, qu'ils soient ses fils et filles ou non — Lorenzo faisait glisser entre ses doigts son eleke, collier de perles bleues et ambre qui le liait à son patron. Il le repassa à son cou, maintenant que la soirée était terminée. S'il avait continué à boire, il lui aurait été interdit de le porter. Tout comme ça l'était quand on s'envoyait en l'air et pendant quelques autres activités considérées comme non sacrées. Ce point précis l'avait toujours laissé perplexe, sachant que les Orisha appréciaient beaucoup les plaisirs terrestres, que ce soit la danse, la musique, le sexe, le tabac ou encore l'alcool, qui était souvent au menu des offrandes privilégiées à leur faire. Au point que chacun d'entre eux avait sa gnole favorite.

Le collier repassé autour de sa nuque et reposant sur sa poitrine, il recula un peu pour sortir les pieds de l'eau et se laissa tomber doucement en arrière. Allongé sur le sable, un léger frisson parcourant sa peau mouillée quand le vent tiède soufflait sur ses bras nus et le tissu de coton trempé qu'il avait vaguement essoré pour l'aider à sécher, ses prunelles sombres fixées sur la clarté d'argent de l'astre nocturne, il fredonnait cette chanson en espagnol qui sonnait presque comme une berceuse. Et qui parlait d'une lune qui, pour devenir mère, exauce la prière de mariage d'une gitane en mal d'amour en échange de son premier né. De son union nait un enfant à la peau si blanche et aux yeux si gris que le gitan ne peut pas croire en être le père et, fou de jalousie, tue la femme qu'il aimait, avant d'abandonner l'enfant dans le maquis...

Lui ne se sentait plus vraiment abandonné. Plus depuis qu'il avait grandit, compris et accepté pourquoi ses parents l'avaient envoyé loin de son pays. Mais cette ritournelle lui pinçait toujours un peu le cœur, quand il pensait à cet enfant qui n'avait plus que la lune pour le bercer et duquel il s'était parfois sentit presque frère, les premiers temps où, à peine plus qu'un gamin alors, il avait vécu loin de siens.

Clac !

Finn se figea, yeux écarquillés et bouche ouverte sur des dents serrées. Il attendit un instant, immobile dans la pénombre et attentif au moindre bruit. Rien d'audible ne suivit le léger choc de la canne dont il avait maladroitement oublié la hauteur et qu'il venait de heurter contre l'encadrure de la porte. Après quelques secondes, il recula, pencha l'ustensile pour faciliter sa sortie et attrapa sa sacoche avant de sortir lui aussi. Il fit montre de prudence en fermant la porte du domicile familial et sentit ses muscles se détendre à mesure qu'il s'éloignait, ses tongs glissant sur les pavés et claquant ses talons à chaque remontée de jambe. La canne de son pater rebondissait doucement sur son épaule, le leurre au bout du fil brillant dans la pénombre et attirant le regard de quelques chats errants.
C'était pas vraiment voler, c'était emprunter. Son père se servait même plus de ses cannes, préférant pêcher au large; et puisque c'était son métier, son bateau et ses filets lui assurait un meilleur rendement. Cela ne voulait pas dire qu'il permettait aux autres de toucher à ses affaires, cela dit, et surtout pas son fils dont il jaugeait les capacité de pêcheur comme nulles. Il n'avait pas tout à fait tort : Finn n'avait absolument pas son niveau, certes. Mais le père Munro n'avait pourtant pas réussi à dégouter totalement son rejeton  de cette activité que tous les enfants de Ceana savaient au moins pratiquer un minimum. Juste assez pour ramener un poisson ou deux et les griller au feu de camp, entre potes.
Donc oui. Finn savait pêcher juste ce qu'il fallait, pour lui et pour les autres.

Sur le chemin, il mit la main à la poche  pour sortir une tige qu'il se cala entre les lèvres, avant de revenir farfouiller pour trouver son briquet. La pierre usée ne causa pas d'étincelles lors des deux premiers essais et Finn fut plus brutal pour le troisième. Le briquet sauta de ses mains, rendues moites par le léger stress d'avoir cru réveiller son père, et rebondit sur les pavés par deux fois avant de finir dans une bouche d’égout bien trop proche.

"Ah, connerie !" Fit-il en se rapprochant de la grille pour s'y agenouiller. Il fouilla dans sa sacoche de pêche pour en sortir une lampe torche dont il dirigea le faisceau vers le gouffre où son briquet était tombé, et que Finn ne vit pas entre les interstices. C'était plié. Il se releva et eut un soupir en regardant la vilaine grille qui avait mangé son bien, puis il rangea sa cigarette dans son paquet.
Il fallait voir en toutes choses un aspect positif : au moins, peut-être qu'il fumerait un peu moins. Et sinon, il pourrait toujours taxer du feu à des passants, tiens.

Une fois à la plage, il fit quelques pas sur le sable frais avant de relever brusquement son pied droit pour en déloger sa tong qu'il attrapa au vol. Après avoir fait pareil du côté gauche, il fourra ses claquettes dans sa sacoche et continua son chemin nu pieds, appréciant les grains crissant sous ses grands pieds. Avant de partir, il avait été malin et avait choisi un pantalon en accord avec son activité nocturne : un vieux cargo shorts couleur grège, ample et plein de poches, et qu'il n'avait donc pas besoin de retrousser puisqu'il s'arrêtait un peu en dessous des genoux. Par contre, il avait peut-être été un peu trop prévoyant en passant un hoodie rouge sombre, l'air n'était pas si frais... Il en descendit donc la fermeture pour l'ouvrir sur un t shirt noir.
La lune, pleine et généreuse, éclairait la plage de sa lueur et donnait à la scène une certaine beauté mystérieuse. Seuls quelques nuages, auréolés d'argent lunaire, moutonnaient dans un ciel piqueté d'étoiles. Au loin, l'horizon bleuté se fondait dans les flots noirs et tranquilles, seulement troublés par le flux de la marée paresseuse et montante. Il devrait bien y avoir, le long de la côte, quelques poissons nocturnes pas assez malin pour échapper à un pêcheur pas trop mauvais...

Finn n'avait croisé presque personne sur son chemin à part deux jeunes amoureux non fumeurs qui n'avaient pas pu le dépanner d'une flamme. Mais peut-être que le type au loin, en t shirt blanc et allongé tout près du rivage, serait en mesure de l'aider ? Finn se rapprocha. Ce ne fut que lorsqu'il fut à quelques pas de lui qu'il pensa le reconnaître et ne put retenir un sourire. Décidément, cette île était bien petite.

Finn se posta juste derrière la tête de l'intéressé et se pencha, sa propre bouille survolant celle de son interlocuteur.

"Salut Lorenzo, t'aurais pas du feu, par hazard ?"

Le chanteur clandestin se redressa à demi quand le visage de Finn vint lui masquer la vue de la lune sans préavis, ou presque. Ne pas s'être rendu compte que quelqu'un s'approchait jeta un léger voile sur son plaisir de voir cette tête là. Pour une raison toute simple: il s'en était pas sorti si souvent dans son corps de métier sans être un minimum alerte face à ce qui se passait autour de lui. Que ce soit aux bruits de couloirs ou à ce qui pouvait se trouver dans son environnement immédiat, toujours tendre au moins une oreille, comme ne dormir que d'un oeil, équivalait à un gage de survie. Rien de menaçant toute fois, malgré l'atmosphère un peu fantasmagorique dont la lumière lunaire baignait la plage où les deux hommes se trouvaient. Ou plus précisément, se retrouvaient. Mais tout de même... 'tu t'ramollis, mon gars', songea-t-il un bref instant. Se sentir bien à Ceana allait visiblement de pair avec une baisse de vigilance qui lui plaisait moyen.

L'interpellé, d'une façon qui lui plaisait en revanche bien plus que ce que ça aurait pu être suite à la collision entre leurs corps de métier, même en plus ou moins retraités, sourit au taxeur de feu. Conjunction avait des cracheurs de feu et c'était classieux, mais tout de même, le promeneur nocturne appréciait tout autant, sinon plus, cette rencontre fortuite (si on vous dit que c'est pas exprès, tss). Ce que Finn pu constater dans le dit sourire, reçu avec la réponse à sa question après que Lorenzo se soit entièrement relevé:

— "I'm a latino, Munro. Of course I have fuego." lui fit-il avec un accent volontairement forcé. Il plongea sa main libre dans sa poche, avec à l'autre, la fin de sa cigarette se consumant toute seule coincée entre les doigts. "C'est bien ce que certaines personnes retiennent contre moi, ici."

Pendant qu'il lâchait ça avec plus de dérision qu'autre chose, un éclat d'argent miroita dans l'espace entre eux, quand Lorenzo donna une pichenette dans une pièce au métal patiné pour la lancer en direction de Finn. Qui se retrouva avec ce qui ressemblait bien à une pièce de 5 pesos en main. 1948, disait l'inscription côté face, entre autres choses. Et un système tout aussi antique, mais ingénieux et toujours fonctionnel, qui transformait deux pièces mexicaines collées ensemble en un briquet miniature. L'objet appartenait a Ramos senior et malgré son grand âge, tout comme celui un peu moins avancé de l'homme qui l'avait offert à son fils à son départ du pays, pétait encore le feu. Tant mieux, parce que c'était ce dont Munro avait besoin sur le moment. Il fallait bien remplacer la pierre de temps en temps et souvent recharger le réservoir, mais la valeur sentimentale de cette bricole faisait que Lorenzo préférait encore se faire chier avec ces détails qu'acheter un BIC plus moderne et flashy mais sans âme pour se faciliter la vie.

— "J'peux t'emprunter un truc aussi ?" Il tira légèrement sur le tissu épais du little red riding hoodie que portait Finn. Avant de tirer sur celui trempé de son t-shirt, qui émit un flitch, floutch ou flatch selon l'ouïe, en revenant lui coller à la peau. "Le temps que l'mien sèche. M'suis fait braquer aux pistolets à eau..."

L'image le fit rire doucement. En partie parce qu'en matière de braquages, Ramos avait connu bien moins festif et bon enfant. Les choses changeaient. En bien. Et ça lui allait tout à fait.

Des deux mains, il attrapa le bas de son t-shirt et le décolla comme il pu pour le faire passer par dessus sa tête. Heureusement sans smooth sexy saxo jazz en arrière plan musical ou de tondeuse à gazon pour faire publicité coca cola. Les muscles de son buste s'étirèrent tout de même dans le mouvement, parce qu'on peut rien contre les lois de la physique. Tout en essorant ce qui restait de sa première tentative un peu plus tôt, il laissa son regard parcourir toute la longueur de la perche que Finn avait en main, une expression détendue mais un poil curieuse sur le visage:

— "J'vais pas te demander ce que tu fous là mais quand même, je m'y attendais pas." Il fronca un peu les sourcils. "Insomnie ou vrai hobby ?"

Finn leva sa main droite pour attrapper la pièce au vol. Il allait demander à Lorenzo la nature de cet objet qui ne ressemblait pas à un briquet, mais l'autre homme avait entrepris de retirer son tshirt. Le tissu trempé laissa derrière lui une fine couche humide qui fit luire la peau dans la pénombre. Ça et là roulaient, le long de muscles bien définis, quelques gouttes qui ne demandaient qu'à être cueillie du bout des lèvres.
Une certaine chaleur s'empara des joues du flic, qui baissa vivement la tête et reporta tout son intérêt vers l'étrange pièce entre ses doigts qui tremblaient un peu. Il défit le clapet et parvint à déclencher une flamme dont il se servit pour allumer la cigarette qu'il avait ressortie de son paquet.

Puisque Lorenzo avait demandé son hoodie et que Finn aimait rendre service (et parce que c'était sans doute plus judicieux pour la santé mentale du flic de cacher le jack-off material que le latin lui donnait à voir), il se départit du vêtement qu'il tendit à l'autre homme avant de répondre à sa question :

- "Vrai hobby, même si c'est pas vraiment mon activité préférée," fit-il en reportant son regard sur son compère plagiste une fois que ce dernier eut enfilé le pull. Il lui renvoya son briquet. "Ça faisait une paye que j'en avais pas fait, et j'ai envie de me cuisiner du poisson demain midi. Ça a une saveur encore meilleure quand c'est toi qui le choppe. Et si j'attrappe rien..."

Il haussa les épaules et eut un sourire narquois.

- "Je sais où mon daron laisse des nasses. Si j'ai pas de poiscaille, j'aurais au moins du homard ou du crabe à chourrer. Et toi, tu fais quoi ce soir ?"

La réponse à cette dernière question fut d'abord: j'me marres. Pour une bonne raison, que Lorenzo matérialisa en mots au fil de sa voix où s'attardait la chaleur de son rire et l'amusement provoqué par la conclusion de Finn sur ses activités de pêcheur.

— "C'est qui le truand ici, en fait?" Il secoua la tête d'un air désapprobateur, démenti par le sourire dansant sur ses lèvres. "Du homard, rien qu'ça! Et tu m'invites même pas à bouffer ? Mon abuela a du hurler dans son sommeil et s'réveiller pour faire le signe de croix à cause de toi, Munro. Faire ça à une vieille dame..."

La cabeza de Ramos bougea à nouveau de gauche à droite pour ponctuer la légende de la grand-mère mexicaine en plein émoi pour manquement à ce qu'elle considérait comme l'hospitalité basique en toutes circonstances: nourrir les gens, de force même, s'il fallait. Lui considérait pas ça comme un crime de lèse majesté, même s'il aurait pas laissé qui que ce soit repartir de chez lui sans avoir proposé à boire ou à manger. Pour ça aussi qu'il préférait pas y amener ses coups d'un soir, chez lui. Mais c'est une autre histoire. Quoi qu'il en soit, son camarade de farniente nocturne ne pouvait pas se méprendre sur le fait que Lorenzo plaisantait au sujet de l'outrage à la bouffe.

— "Gracias. Pour le prêt. Et ce soir... eh ben j'apprends que tu cuisines, déjà. " Ça devait pas être le plus courant pour un homme, dans un coin un peu vieux jeu comme pouvait parfois l'être l'île, côté mentalités. "Puis j'me demande ce que c'est, ton hobby préféré puisque c'est pas la pêche, de c'que tu m'dis."

Ramos marqua une brève pause, ponctuée d'un sourire et d'un air réellement intrigué par le sujet, puis repris le fil de sa réponse:

— "A part ça et ma lessive forcée..." fit-il en levant le t-shirt alourdi par l'eau, qu'il allait falloir étendre à sécher sur un rocher , "...rien de spécial. Je prenais un air plus frais et plus calme après avoir fait un tour au festival."

Il se cala une autre clope au bec, l'envie le prenant à voir Munro fumer, fit crisser la pierre du briquet pour l'allumer. Une brève lueur orangée vint danser sur son visage, en réchauffant sûrement la teinte, par contraste avec la lumière crue projetée par la lune. Lumière froide, ombre chaudes, nuit tiède... le moment était agréable.

La fermeture du sweat shirt — dont l'enfilage lui avait masqué la réaction de son propriétaire à sa semi nudité temporaire — n'était zippée qu'à demi. Tant par habitude latine de porter les chemises un peu trop ouvertes que pour le plaisir de sentir l'air chargé d'embruns caresser sa peau. Le goût salé qu'il laissait à la surface de l'épiderme, chargé d'un mélange de mal du pays et de la mémoire de l'ivresse à la tequila, lui faisait toujours un certain effet quand il en profitait sur la peau de quelqu'un. Petit, sur la plage au Mexique, il lui arrivait de sucoter les traces cristalisées sur la peau de son bras simplement parce qu'il adorait ce goût là. La madeleine de Proust avait pris un goût moins innocent avec l'âge, mais de façon générale, c'était toujours plutôt vers le salé qu'il se tournait quand une fringale le prenait.

Finn eut un rire un peu méchant lorsque Lorenzo le traita de truand. C'est vrai, c'était pas chic de voler son propre père... Mais un crabe par ci, une petite murène par là, ça se voyait pas forcément : les nasses du père Munro étaient nombreuses, et une prise en moins n'avait jamais nui à son affaire. De plus, Finn n'avait pas l'imprudence de barboter dans les pièges de son père à la vue de n'importe qui. Il gardait les emplacements secrets, pour qu'aucun autre arsouilleur ne se serve et mette à mal l'activité d'un père qu'il ne portait pas forcément dans son coeur. Et puis merde, ça faisait dix ans qu'il ne lui avait rien chapardé !

- "Ouais ?" Répondit Finn au programme de la soirée du barman. "J'y suis passé aussi. J'ai pas trop aimé le groupe qu'est passé, chuis parti. Du coup j'ai pas vu si ça vallait d'avantage le coup plus tard, mais j'ai mangé des pures frites à une buvette pas loin de l'entrée."

Il allait poser une autre question, quand le vent porta à ses oreilles ce qui ressemblait à un murmure. Il se cala l'auriculaire dans l'oreille pour se la gratter, se remémorant les quelques fois où, plus jeune, il avait entendu des chuchottis qui semblaient être émis par l'île elle-même.
Il regarda Lorenzo, pas sûr de ce que le barman avait prévu ensuite.

- "J'vais aller faire des lancers par là-bas, pas loin de la grotte de lèche-museau," précisa-t-il en pointant l'index vers le coin de la plage plus rocailleux, et où se trouvait la caverne où les jeunes amoureux allaient se rouler des pelles. "Si tu veux venir et glander avec moi, y a pas de souci. Sinon, tu me rendras mon pull quand on se recroisera !"

Un bref instant, tandis qu'il écoutait Finn, le nouveau sweater man du duo cru entendre quelque chose. Et c'était pas une ritournelle qui faisait 'Cause it's too cold for you here ♪ And now, so let me hold ♫ Both your hands in the holes of my sweater'... ne serait-ce que parce que le morceau en question ne sortirait que dans une vingtaine f'années et que Lorenzo n'avait pas encore de don de double vue, jusqu'à preuve du contraire. Non, ce qu'il avait cru entrendre, c'était... une sorte de murmure ? Il fronça les sourcils, incertain, pendant que Finn se grattait l'intérieur de l'oreille. Est-ce qu'il avait entendu aussi ? Hm, ça devait juste être le vent. Même si le vent avait déjà eu d'étranges accents certaines fois, pendant des promenades en forêt le plus souvent.

D'un hochement de tête, il accepta la proposition de Finn. Avec un léger rire aussi.

— "Lèche-museau ? C'est comme ça que vous appelez le coin alors ? Hmm... makes sense." Inconsciemment, il humidifia ses lèvres de la pointe de la langue, avant de continuer, souriant au grand brun face à lui. "Ca marche. Apprends moi à pêcher."

Ce foutu t-shirt trempé qu'il devait trimballer l'empêcha d'enfoncer sa main libre dans la poche du sweatshirt comme il en avait l'envie. Pas grave, il le ferait plus tard, une fois le vêtement étendu sur un des rochers près de la grotte. Pour le moment, il emboita le pas de Munro, le laissant le guider en direction du fameux spot à galoches, qui ne serait pas leur point de chute du soir. Un furtif sourire passa sur son visage quand il du reconnaitre en lui-même que ca ne lui aurait pas déplu de faire un crochet par là en compagnie de son 'date' improvisé. A qui il n'en dit rien mais répondit plutôt à sa critique du festival, en recrachant une longue bouffé de clope:

— "Bof, pour le concert où j'étais. Mais les bières étaient bonnes, par contre. Si j'avais su qu'on se croiserait, j'en aurais pris quelques unes à écluser entre les rochers en attendant qu'ça morde."

Ce qui revenait le mordre, lui, c'était ce doute à propos de ce qu'il avait eu l'impression de capter dans l'air du vent. Ne pas avoir la tignasse de Pocahontas, ça voulait pas dire qu'il avait halluciné pour autant. Ramos tourna la tête vers Finn tout en marchant, son pas calé sur celui du mec à ses cotés. Et ses sourcils se froncèrent à nouveau.

— "Dis, Munro... t'as pas entendu un truc juste avant ? J'sais pas, m'prends pas pour un cinglé mais j'ai eu l'impression d'entendre un murmure. J'suis pas trop sûr..." Il secoua la tête, comme pour chasser cette idée, bien moins plaisante que celle d'une visite à la grotte. "Me semblait pas avoir tant bu que ça mais trop d'bière, p'tet."

- "T'en fais pas pour les bières, j'en ai," répondit Finn à la légère déception de son compère "Que deux, du coup, donc faudra la faire durer !"

La caverne de laquelle ils se rapprochaient n'avait pas vraiment de nom, en vérité. Les aïeuls du coin l'appelaient parfois 'la petite ornière', mais elle était surnommée lèche-museau par la grande majorité des jeunes de Ceana, et ce déjà lorsque Finn faisait lui même partie de cette jeunesse, avant son départ. Avec certains coins de la forêt, cette grotte était THE place to be quand on avait entre onze et dix-sept ans, qu'on se croyait bon au frenching, et qu'on arrivait à impressionner une fille assez pour qu'elle vous y suive. Finn lui-même avait y roulé quelques patins, pas toujours très glorieux, mais toujours avec la gent féminine puisqu'il avait réservé sa phase voile et vapeur pour lorsqu'il était à Londres.

Il y avait autre chose que les habitants de Ceana partageaient. Des mythes mystérieux, de belles légendes, et des occurences étranges. Elles n'étaient pas fréquentes et pouvaient facilement être mises sur le compte de forces naturelles, le vent étant le coupable le plus souvent désigné. Mais chaque habitant partageait ou gardait pour lui au moins un phénomène minime auquel il avait assisté, et qui pouvait le plus souvent s'expliquer de manière rationnelle... Mais c'était marrant de croire, même rien qu'un peu, qu'il y avait de la magie sur ce caillou.
Les murmures s'étaient tus pendant que Finn avait vécu à la capitale, et même s'il n'avait pas été vraiment étonné de les entendre à nouveau par cette pleine lune étrange, il s'admit que c'était toujours aussi fun et spooky qu'avant. Lorsque Lorenzo le questionna sur la bizarrerie, il hésita un instant avant sourire.

- "Si, je l'ai entendu aussi. Y'en a, des gens logiques, qui te diront que ça souffle fort parfois, et que le vent qui s'infiltre dans les creux de la roche peut provoquer des sons. Y'en a d'autres, surtout les vieux d'ici, qui te racontront que les kelpies sur les côtes cherchent à te baratiner pour t'emmener sous l'eau et te noyer. Et d'autres encore, les plus glauques, qui te diront que c'est les morts qui parlent. Moi je te répondrais que j'en sais foutre rien, mais que c'est pas la première fois que ça m'arrive, ici."

Le sable sous leurs pieds laissait peu à peu place aux roches noires qui bordaient le lèche-museau, et il fallait à présent faire attention où l'on mettait les panards pour ne pas se vautrer.

- "En tout cas, t'es pas cinglé, si ça peut te rassurer. Tant que le murmure te dit pas de te jeter de la falaise..."

Lorsqu'il jugea avoir atteint un spot convenable, il se défit de sa sacoche pour y fouiller afin d'en sortir un couteau ainsi qu'un petit maquereau dont il découpa une lamelle pour l'accrocher à son hameçon. L'objectif de Finn, s'il ne se débrouillait pas trop mal, était d'arriver à choper une raie (non, pas ce genre de raie là) pour la préparer avec un beure citronné, une petite purée, et une julienne de carottes avec un soupçon de vanille. Mais s'il ne parvenait à prendre qu'un banal lieu noir, ça lui irait tout aussi bien !
Avant son premier lancer, il tendit une des deux bières à Lorenzo.

Le vent, quasi invariablement présent sur ces côtes, continuait son chuchotis nocturne autour d'eux, pendant que Lorenzo louvoyait avec habilité entre les roches sans s'entraver, comme il l'avait souvent fait avec les occasions de se faire pincer. Il ne capta rien dans l'air d'autre que les explications de Finn, auxquelles il prêtait l'oreille avec une attention sincère. Rien dans ses paroles ne le choquait ou ne lui donnait envie de se moquer, que ce soit du conteur comme de ceux dont il rapportait les divers avis. Elevé aux mythes et légendes d'un pays dont le pouls pulsait autant au rythme du mystique et des superstitions, le mexicain accueillit les informations avec la curiosité et l'ouverture d'esprit qui découlaient d'y avoir baigné et qui le caractérisaient.

Un rire un peu plus sec franchit ses lèvres, à la dernière intervention de son compagnon de soirée. Dont il observait les gestes avec la même attention qu'il avait mise à l'écouter. La pleine lune le nimbait d'argent, faisant étinceller l'hameçon et la lame du couteau avec lequel Finn découpait le poisson. Un frisson parcouru l'épiderme de Ramos et l'air lui paru plus froid, même s'il n'en était rien. Juste l'effet de cet éclat sur la lame et de paroles plus sombres sur le moment.

—  "Le murmure ira s'faire foutre, dans ce cas. J'ai pas dépensé autant d'énergie à essayer de sauver mon cul pour me balancer d'une falaise. Que ce soit à cause d'un murmure ou quoi que ce soit d'autre."

Sa main prit la canette tendue par Finn, à qui il sourit en guise de merci. Il la décapsula et en bu une gorgée avant de la lui repasser. Y en avait que deux, c'était les siennes, il allait pas faire son rapace en s'octroyant la totalité du fut miniature, même si Munro le lui offrait. S'il avait su à quel genre de petit plat foutrement appétissant l'autre pensait en lançant son appât...peut-être qu'il lui aurait banané les deux binouzes en guise de retaliation. Parce que putain, ça lui aurait filé la dalle ce menu aux petits oignons! Heureusement, la télépathie n'était pas encore de la partie, contrairement aux étranges murmures du vent.

— "On en a plein aussi, là-bas. Des histoires sur les morts, les fantômes et des créatures qui se mêlent des affaires des vivants. La Llorona..." L'accent chantait quand il prononça le nom de ce spectre de légende chez eux. "...'la pleureuse'. Un spectre vengeur que tu entends gémir la nuit, au bord des lacs ou de la mer. Elle aurait tué ses enfants, parce que son mari la délaissait et qu'elle a découvert qu'il la trompait. La tristesse et la jalousie l'ont rendue folle, alors elle les a noyés...parce que quand il était à la maison, y avait qu'à eux qu'il portait de l'attention. Selon les versions, le remord l'a poussée à se noyer juste après, quand elle a réalisé ce qu'elle avait fait. Et depuis, elle hanterait les points d'eau, dans sa robe de funérailles blanche, pour enlever des gamins et essayer de se reconstruire une famille ou noyer les maris infidèles...pobrecita."

Il s'étira et en étendant son t-shirt blanc dont le tissu trempé fit écho dans son esprit à la macabre tenue de la Llorona. Il eut un rire mi amusé mi nerveux. Sans croire vraiment à cette légende ni s'attendre à ce que le fantôme débarque sur la plage, l'ambiance qui commençait à s'installer devenait de plus en plus propice à une pointe de nervosité irrationnelle. De celles qu'on recherchait autour des feux de camps entre ados ou a provoquer chez une fille qui te plaisait, dans l'espoir qu'elle vienne se réfugier contre toi et de s'emballer après. Tout ces souvenirs, quasi universels, couplés au fait d'être justement enveloppé dans la chaleur du sweater de Finn, le firent sourire. Et il demanda à l'enfant du pays:

— "Y a une histoire spéciale sur ce coin de l'île en particulier ? Ca m'a l'air le genre d'endroit pour, en tous cas."

Le bras droit du flic s'écarta légèrement alors qu'il calait sa clope entre ses lèvres de sa main gauche libre. Il cassa son poignet vers l'arrière pour le rabattre aussitôt. La canne fit siffler l'air, et la bobine de la manivelle s'anima tandis que la ligne fusait. L'appât finit sa course au delà de l'enfilade de rochers qui s'enfonçait dans l'eau, et Finn murmura un "et merde" puisqu'il n'avait pas atteint le point précis qu'il avait visé. Ah, peu importait, il y aurait d'autres lancers. Il était décidément meilleur au flingue qu'à la ligne...
Alors qu'il manœuvrait la canne et donnait quelques tours paresseux de manivelle pour remuer l'appât immergé, il écouta la triste histoire de la Llorona qu'il ne connaissait pas, mais qu'il trouva intéressante de part ses quelques menues similitudes avec d'autres légendes européennes. Comme quoi, l'expérience humaine était universelle, et il n'y avait rien de plus normal que l'on retrouve ça et là quelques éléments qui résonnaient. La femme bafouée, le point de non retour, le châtiment qui attendait les enfants imprudents...  Combien de forme pouvait revêtir un croque-mitaine ? Autant qu'il y avait d'Hommes.

- "Ici ? Y a pas vraiment d'histoire spéciale," répondit Finn, l'articulation un peu gauchie par la tige entre ses lèvres. Aucun poids ne se faisait sentir au bout de sa ligne. Il ramena son poignet d'un coup sec et refit un autre lancer. "A part des rumeurs d'engrossage quand lèche-museau devient fourre-palourde, huhu. Par contre, c'était un coin de braconniers et de chasseurs d'épaves. Parait que y a tout un tas de bateaux qui se sont fracassés, un peu plus loin vers l'est. Et-"

Nouveau murmure. Un peu plus fort.

C'est à moi.

Finn se tourna vers Lorenzo avec un "hm ?", mais le latin le regarda d'un air interloqué. C'était pas lui qu'avait parlé. Une bourrasque plus froide heurta les deux jeunes hommes sur les récifs, mais elle n'était pas entièrement responsable de la légère chair de poule qui pris Finn aux bras et dans la nuque. Qu'est ce que c'était que...

Derrière Lorenzo, non loin de la gueule béante de la grotte aux amours, se tenait une silhouette d'homme. Tout comme le barman et le flic, il était éclairé de la même lumière lunaire, mais le halo d'argent autour de lui semblait plus prononcé. De sa main libre, Finn se frotta les yeux et les cligna plusieurs fois. C'était... C'était exactement comme quand il avait cru voir sa mère dans la forêt, bordel.
L'homme ne lui fut pas non plus inconnu, et ce furent surtout la vieille gapette bleue rapiécée de vert, les bottes bordeau ourlée de daim brun, ainsi que le ciré aux bords élimés qui rappelèrent quelque chose au Ceanite exilé.

- "Oh putain !" Lâcha-t-il en un chuchotement hâtif entre des dents serrées, tout en s'accroupissant comme s'il voulait se rendre plus petit. "C'est Fergus quat' doigts !"

D'instinct, Ramos anticipa le mouvement, se tassant tant que possible dans les rochers en même temps que Finn. Merci les années à jouer au chat et à la souris avec la flicaille. Le rire né dans sa gorge à l'affaire de fourre-palourde était maintenant aussi mort que le gars qu'il avait cru voir sortir de la grotte sur le coup. Mais c'était pas le mec qu'il avait tué qui se tenait à l'entrée de la bouche béante pleine de ténèbres ; juste celles dans sa cervelle qui venaient lui rappeler qu'un jour, peut-être, il faudrait payer.

Mais malgré confirmation du fait dans le murmure rapide de Finn, Lorenzo se détendait pas pour autant. Les yeux rivés sur l'ombre aux traits inconnus pour lui, il se retint presque de respirer. Plus un muscle ne bougeait. Et y avait pas que le vent à frémir dans le coin ; lui était pas en reste. A cause de ce putain de halo. S'aurait été rien qu'un mec louche sorti de la grotte qu'il aurait pas réagit plus que ça. Mais cette lueur argentée autour de la silhouette bâtie pour foutre des coups de rame à dessouder les mâchoires juste avec les battoirs qui lui servaient de mains... Un doigt en moins ou pas changeait rien au fait que la vision était impressionnante. Encore plus entouré de cette aura lunaire.

— "¡No mames! Santa mierda... c'est quoi cette conner... machin quat' doigts?? Tu t'fous d'moi??"

Le regard vif mais tendu lancé en biais à Finn disait que la question était aussi rhétorique qu'elle avait été soufflée le plus bas possible. Sans le vent et le bruit de l'océan, peut-être qu'il les aurait entendus. Peut-être aussi que Munro aurait entendu les battements sourds et accélérés du palpitant dans la poitrine de Lorenzo. Le cerveau réagissait plus vite que les pensées se formaient ; l'adrénaline était déjà dans ses veines, prête à soutenir ses muscles, qu'il faille se battre ou fuir.

— "How the hell you kill a fuckin' dead...?" , cracha le latin entre ses dents. Même tout bas, le sérieux de la question s'entendait. "Putain Munro, c'est pas la croix que j'ai d'tatouée au bras qui va l'exorciser c'ui là..."

Une partie de son cerveau essayait de se convaincre que ce qu'il voyait n'était rien qu'un mirage. A trick of light. Tout, sauf le putain de fantôme d'un surineur recraché par la mer. L'autre partie se disait que merde, si Munro se planquait et le voyait aussi... ca pouvait pas être juste son imagination. Et pour tout ça, il ne parvenait pas à détacher ses yeux de l'apparition.

- "¡No mames! Santa mierda... c'est quoi cette conner... machin quat' doigts?? Tu t'fous d'moi??"
- "C'est- Enfin- C'était un chasseur d'épave," Finn, les yeux toujours grands ouverts, continua de chuchoter entre ses dents alors qu'il remonta sa ligne fissa et qu'il prenait sa sacoche de pêche. "Il a cassé sa pipe en 78,une dispute avec son frère qu'a mal tourné. Le frangin doit être encore en taule à l'heure qu'il est."
- "How the hell you kill a fuckin' dead...? Putain Munro, c'est pas la croix que j'ai d'tatouée au bras qui va l'exorciser c'ui là..."
- "Je sais pas," répondit Finn qui, presque par réflexe et toujours légèrement accroupi, vint se placer devant Lorenzo, tournant le dos au latino et gardant ses yeux rivés sur Fergus.
Il ne fallait pas que Lorenzo voit là une preuve d'une faiblesse que Finn lui prêtait, non. C'était simplement l'habitude du flic, couplée à l'instinct protecteur qu'avait l'écossais, qui l'avait fait se mettre entre le barman et ce qui pouvait très bien être une menace.

Finn déglutit avec difficulté. L'apparition -si c'en était une- avait une saveur amère pour lui. S'il avait vu sa mère de la même façon il y a des années dans la forêt, qu'est ce que cela voulait dire ? Etait-elle morte elle-aussi ? Loin de Ceana ? Et s'il suivait Fergus Quatre Doigts, y avait-t-il une chance qu'il puisse la revoir rien qu'un peu ?
Elle était partie quand il avait dix ans, sans prendre la peine d'expliquer pourquoi, et d'avantage que l'affection d'une mère qui lui avait manquée, c'était ces raisons qui l’intéressait avant tout. Honnêtement, il ne croyait pas qu'il pourrait revoir sa mère en suivant Fergus, mais la curiosité l'emporta : même si maman n'apparaissait pas, eh bien peut-être pourrait-il obtenir d'avantage d'explications sur ces phénomènes dont il avait été par deux fois témoin maintenant.

Quatre Doigts se déplaça vers la grotte. Finn fouilla rapidement dans sa sacoche de pêche et sortit une lampe frontale qu'il se cala sur la tête et donna sa lampe torche à Lorenzo.

- "Tu peux m'attendre là. Je reviens," demanda-t-il au barman, sans que ça ne sonne trop comme un ordre. Lorenzo était libre de ses mouvements, au final. Et s'il voulait lui emboîter le pas, c'était son affaire.

Le poing de Finn se resserra autour du manche de sa canne. Il se dirigea vers la grotte.

Qu'est-ce qui lui prenait, tout d'un coup ? C'est la question que se posait Ramos en se retrouvant avec une lampe torche dans la pogne et Munro qui semblait décidé à jouer les chasseurs de fantômes.

— "What the fuck, ghostbuster?" , lui souffla-t-il au moment où la haute silhouette de Finn se mit en route vers la grotte.

Un bref mais lourd soupir lui sortit de la gorge. Rien qui sonnait comme un soulagement. Alors que ça aurait dû. Mais c'était plutôt un soupir qui disait 'eh merde!'. Le spectre était retourné dans son antre. Eux auraient pu se casser d'là vite fait. Mais non...à la place, Munro lui courait aux fesses. Pour une raison qui échappait totalement au Mexicain. Loin d'imaginer de quoi il retournait, lui pensait seulement que si s'avait été une histoire de trouver le trésor du vieux ruffian... alors en toute logique, Finn étant un gosse du coin, il aurait fouillé cette foutue grotte noire comme l'intérieur d'un trou d'balle depuis longtemps.

Mais le même Finn lui avait sauvé la mise, pour commencer. Peut-être bien deux fois même, si comptait la possibilité que m'sieur quatre doigts pouvait peut-être faire plus que vous coller un peu les foies. Ca, Ramos l'ignorait. Ce qui était sûr, c'est  que s'il était sur cette plage à gonfler ses poumons d'air frais en marchant derrière lui pour le rattraper et pas en train de faire les cent pas dans une cour de promenade bétonnée... c'était grâce à lui. Puis, en dehors de ça, Lorenzo l'appréciait. Et en plus de ne pas goûter l'idée qu'il lui arrive quelque chose, une pointe de curiosité l'animait. Heureusement pour lui, ce n'était pas un chat. Et s'il finissait raide là dedans... well, too bad. Peut-être qu'il reviendrait hanter cette plage lui aussi, faisant à jamais partie de la légende de l'ile à son tour. Quoi qu'il en soit, il voulait savoir.

— "Pourquoi tu l'suis, Munro ? Une histoire de trésor ou un truc du genre ?", lâcha-t-il tout bas une fois à sa hauteur, en faisant de son mieux pour éviter de se prendre les cannes dans les roches sur ce terrain qu'il connaissait mal.

Même s'il l'hypothèse du trésor lui paraissait bancale, ça restait quelque part le plus logique. Il n'aurait pas pu deviner ce qu'il en était pour Finn en vérité. Quoi qu'il en soit, Ramos avait décidé d'assurer ses arrières. Pas qu'il pensait que l'Ecossais avait besoin de lui pour ça. Juste qu'il allait pas laisser le mec qui s'était mouillé pour lui risquer quoi que ce soit sans être là s'il pouvait.

Honnêtement, Finn fut soulagé de se savoir couvert par Lorenzo. Le flic était certes brave, mais il n'y avait rien de mieux qu'un équipier pour vous faire sentir invincible. Dès lors qu'il entendit les pas du barman derrière lui, il se voûta moins et marcha de toute sa hauteur. Qu'est ce qu'un fantoche pourrait bien lui faire, tiens ? Aux dernières nouvelles, ils étaient intangibles, ces cons là. Et si Quatre Doigts l'était pas, il allait se prendre un coup de canne à pèche à travers la gueule, ç'allait être vite vu.

- "Beuh... Ouais," mentit partiellement Finn, se sentant idiot de suivre une apparition juste pour voir s'il y en aurait une autre, plus bienvenue, au bout du chemin. "Pour un chasseur d'épaves, ça tient la route, nan ? Il était super secret, il parlait pas à grand monde, donc personne sait ce qu'il trouvait au fond de la mer... Si on trouve rien, t'auras le droit de me taper."

Plus loin, Fergus Quatre Doigt continuait sa marche sinueuse et apparement incohérente. Les chuchottis se répétaient, toujours la même litanie d'un "c'est à moi" rageur. Il ne semblait même pas avoir remarqué les faisceaux des lampes qui eclaboussaient les murs sombres de la grotte... Si Fergus était un fantôme, il avait pas l'air d'être un esprit frappeur ou vengeur, mais plutôt d'un égaré.
Après une ou deux minutes d'une marche prudente, Finn plaqua sa main sur le torse de Lorenzo pour le stopper. Quatre Doigts venait de passer au travers des rochers massifs qui formaient le fond de la caverne, ne laissant derrière lui que trois minuscules feux follets.

- "Quel connard, il dit même pas au revoir," plaisanta Finn avec la voix qui trembla légèrement. Il eut un petit rire nerveux.

Les minuscules flammèche bleutées se concentrèrent autour d'une pierre en particulier, puis moururent sous une bourrasque partie de l'entrée de la grotte pour venir résonner dans sa gorge.

Un bref rire qui hésitait entre amusement et nervosité fit écho à la plaisanterie de Finn. Putain, il venait quand même de voir un mec jouer les passe-murailles au fond d'une grotte plongée dans les ténèbres... Du moins l'aurait-elle été sans la lumière salvatrice de leurs torches et les bon dieu de lueurs fantasmagoriques que le vieux Quatre Doigts avait laissées à danser derrière lui.

Si la main de Finn était toujours plaquée contre sa poitrine, sans doute pouvait-il  sentir la cavalcade du cœur de Lorenzo sous sa paume. Qui affichait un calme de façade tout de même troublé par ses mirettes écarquillées fixant le rocher et les flammèches bleutées, quand il lui répondit:

— "Ouais mais sa sortie était stylée, faut avouer... et il a laissé un indice, on dirait..."

L'air était plus froid au creux de la grotte. A cause du hoodie à demi ouvert et de l'adrénaline qui commençait à refluer, un frisson parcouru le corps du barman. Son souffle, encore un peu lourd, formait de petites nappes de brume dans l'air entre eux, troublant le relatif silence qui suivit ses paroles. Parce que la grotte semblait une entité vivante. Un ventre qui gargouillait du bruit humide et régulier des gouttes d'eau tombant un peu partout autour et des plaintes assourdies du vent qui s'y engouffrait.

Lorenzo fourra la poignée de la torche dans sa poche puis, une fois les mains vides, sortit son paquet de clope de l'autre. Il cala une tige entre les lèvres de Munro et l'alluma, ses yeux sombres fixés sur le visage de l'Ecossais.

— "Tu vas voir si y a un truc là-bas ? Vu qu' c'est pour ça qu'on a marché, de ce que tu disais."

Même s'il doutait un peu, avec la réponse hésitante de Finn à propos de la chasse au trésor, sa voix ne portait pas trace d'ironie, d'accusation ou quoi que ce soit. Si Munro avait choisi de lui faire cette réponse là, c'était son droit et ce serait celle que Lorenzo accepterait comme vraie, jusqu'à ce qu'une autre vienne peut-être la remplacer. Ou bien la compléter. Ou pas. Parce que d'un sens, ouais, l'histoire du trésor du vieux taiseux se tenait. C'était juste cette hésitation qui gardait son doute premier à ce propos en surface.

En allumant une clope pour lui ensuite, Lorenzo serra la main plus fort que de coutume autour du briquet, pour l'empêcher de trembler à cause de la tension de la chasse au fantôme qui redescendait et se relâcha presque complètement en exhalant la taffe qu'il venait de tirer en un long soupir. On avait beau avoir grandit dans les histoires du jour des morts et compagnie, c'était pas tous les jours qu'on s'enfoncait dans une grotte avec macchabée spectral. En tous cas pour lui c'était la première fois. Pas tous les jours non plus qu'on s'y trouvait avec un type qui donnait envie de faire honneur au sobriquet lèche-museau du coin. Mais ça, c'était une autre affaire.