high just before the storm | ft. meaveen

It’s time. Y’a tout son corps parcouru d’un courant électrique, trépigne d’impatience depuis qu’elle a posé ses pieds sur cette île, les lettres dessinées à la main annonçant les Crystal Queer à l’affiche du festival, voilà son heure de gloire arrivée. Stray Kitty recueillie dans les caves de Londres, dernière addition d’une joyeuse troupe de misfits, la musique comme langue commune. Pour elle, c’est une première fois. A connu que les plafonds de pierre des salles souterraines de la capitale anglaise, les parquets de bois des bars plus ou moins miteux du Royaume-Uni, les salles fermées pleines à craquer emplies de fumée. Mais un festival de plein-air, une échelle pareille? C’est un rêve devenu réalité, elle y croit presque pas et pourtant la voilà à déambuler sur la scène en train d’être montée, au milieu des technicien.ne.s qui s’affairent tout autour, trimballent instruments, projecteurs et monstres de fer dans une chorégraphie calibrée au millimètre près. All this for us. Les rois et reines de la scène, celleux qui la domineront d’ici quelques heures et dont on scandera les noms toute la nuit durant jusqu’au petit matin, divinités d’un soir au goût d’éternité. Mimi elle a qu’une hâte, c’est goûter à cette euphorie, entendre son nom de scène hurlé encore et encore comme une formule magique, faire d’elle le démon de minuit, marquer à tout jamais les esprits.

Alors elle se faufile entre toutes les installations encore en train d’être montées, avec l’agilité et la taille d’un chat, frôle deux technicien.ne.s puis se faufile sous une échelle pour ressortir de l’autre côté de la scène, laisse ses doigts tambouriner tantôt sur le sol, tantôt sur une ampli qu’on vient de poser par terre, tantôt le long d’un bras qui passe par-là, chantonne une de ces mélodies ayant comme siège les confins de son esprit et qu’elle ne sait partager qu’avec une seule personne, celui même qui l’a recueilli et lui a ouvert les portes de ce paradis.

Elle finit par surgir de derrière un chariot transportant les cymbales de la batterie, un grand sourire sur les lèvres, petite souris disparaissant presque dans l’immensité de la scène, engloutie par tout le reste.

Hey, kitty. Attaque furtive qui ne laisse aucune chance, elle prend de la hauteur en montant sur une caisse et se jette sur le grand dadais. Hey you. Le salue-t-elle en lui collant un sticker en forme d’étoile sur la joue, le délivrant enfin de son étreinte pour s’éloigner à nouveau, poursuite de son inspection méticuleuse de la scène, chat qui fait le tour de son territoire pour vérifier si tout est en ordre. Elle fait soudainement un peu moins tâche dans le décor, se tient un peu plus droite, un peu plus sérieuse, comme si sous sa tignasse brune maladroitement tressée et ses pommettes pailletées somnolait un monstre du rock, démon n’attendant que la tombée de la nuit pour prendre possession de ce corps de chiffon.

How you’re doin’? You’re settled yet? I’ve heard from the label that the organization was giving free rooms in some inns or something for the artists of the festival? You got one there?

Regard brillant de malice rencontre celui du chanteur alors qu’elle se hisse à nouveau sur une caisse comme pour contempler son futur empire. Don’t worry Vesper, everything’s fine. I’m staying at one of the farms… Ses mains se placent comme pour tenir une guitare imaginaire, et la voilà à jouer des riffs dans l’air. It reminds me a bit of home. Almost made me nostalgic. Admet-elle sans arrêter son morceau pour autant, sautillant sur place, emportée par un public pas encore arrivé. Also, I met a reallyyyy cute girl on the shuttle. Elle joue l’accord final et lève ses deux mains en l’air, standing ovation imaginaire, fait quelques révérences avant de sauter de son perchoir pour rejoindre son bandmate.

Hey, see? That’s where we’re gonna play in a few days. Neat, right?

Et c’est plus que tout ce dont elle aurait pu rêver, les après-midi entières à jouer devant son miroir à la starlette, à s’imaginer en tête d’affiche de concerts imaginaires, à prétendre signer des autographes et distribuer des albums devant son public de moutons faute d’avoir des vrais fans. Il y a quelques mois de ça elle était encore là-bas, au fin fond du Fermanagh, à avoir comme seuls fans ses parents, son troupeau et son clebs Sully. Tout s’est passé si vite ensuite, des bas-fonds de Londres aux coulisses jusqu’à débarquer sur scène avec juste sa petite basse pleine d’autocollants, la même avec laquelle elle jouait devant son miroir, dernière héritière du trône des Crystal Queer, gamine élevée au rang de rockstar le temps d’une chanson, et la voilà adoptée dans cette drôle de famille choisie. Alors ses yeux se mettent à briller en découvrant ce nouveau terrain de jeu, plus grand que ce qu’elle a jamais connu, plus grand que ce qu’elle a jamais rêvé. C’est presque trop beau pour être vrai, et en même temps ça semble seulement naturel pour Mimi, elle se dit qu’il y avait pas d’autre issue possible pour elle, qu’elle aurait pas pu finir sa vie dans les champs et la boue, qu’il y a que cette scène où elle est vraiment à sa place.

The technicians told me we could try out our instruments if we wanted, not just see the place but really see if everything is going as smoothly as it’s supposed to go. You know the drill. Told me they could help if we needed anything too.

Meaveen hoche la tête très solennellement, avant de lui attraper la main et jouer avec ses doigts, trace leur contour en sentant leur peau usée par les cordes de guitare, la corne gagnée à force de jouer encore et encore. Ses doigts à elle aussi sont abîmés à force de répéter, petites plaies cachées sous des pansements d’enfant et aussitôt oubliées, la musique éclipsant l’inconfort et tout le reste, plus rien qui compte à part l’euphorie du morceau.

I’ve never seen anything like this. This scene… It’s huge. I could get lost there and nobody would notice. Sa voix trahit son excitation, l’adrénaline pulsant dans ses veines à l’idée même de jouer ici durant le festival, d’être au centre de l’attention de tant de personnes. S’y mêle aussi une pointe de vertige, accentuée par les regards que certain.e.s employé.e.s lui adressent en passant, se demandant bien qui a laissé entrer une gamine pareille venir sur scène, s’il s’agit p't'être d’une énième festivalière paumée, voit pas en elle le potentiel endiablé qui lui a pourtant valu sa place chez les Crystal Queer. Elle sait qu’elle a ses preuves à faire, dernière arrivée du groupe, encore inconnue du grand public, celle qui doit s’imposer sur scène comme dans les coulisses comme vraie rockstar. They’ll see. Elle sait que tout est une question de temps avant que son talent ne prenne le dessus, avant qu’elle leur en bouche toustes un coin et prouve pourquoi elle a été choisie, elle et pas un.e autre. Energie qui déborde de son corps trop petit pour tout contenir, vagues de fureur qui n’attendent que d’être relâchées une fois sur scène, dans la frénésie du concert, quand toute la foule est sienne. Elle sait qu’aux côtés de Vesper, elle peut tout faire cramer.

Let’s play, shall we? Comme une incantation, sa guitare basse apparaît dans les bras d’un.e membre du staff à ce moment précis, Mimi lui arrache des mains et passe la sangle par-dessus son épaule. Déjà son aura change, prête à faire pleuvoir les flammes et rugir le ciel, fragments de chaos contenus dans le bout de ses doigts.

One of the farms? Didn’t know they put some people there, but it’s nice ! You’re close to animals, don’t you? Pas un mot et le voilà qu’il la suit, ramène son propre instrument imaginaire et se débrouille vraiment bien avec. Oooh, yeah, that’s right. I always forget you’re from a farm, with your whole rock attitude and shit y’know.

Sometimes I forget it too. Elle aime la ferme et elle aime ses parents, y’a aucun doute là-dessus, et son coeur déborde d’amour pour toutes ses bêtes adorées laissées au pré, mais elle sait que c’était pas fait pour elle, qu’il fallait qu’elle monte sur scène.

Même pas besoin de regarder Vesper ensuite pour savoir que son intérêt est piqué quand elle lui parle de la jolie fille, que le grand romantique qu’il est va forcément vouloir en savoir plus. Puis c’est l’occasion ou jamais, Meaveen qui d’habitude a jamais rien à raconter, celle qui écoute toujours les histoires d’amour des autres, voilà quelque chose de croustillant à partager - même si elles ont échangé qu’un regard en vrai, elle peut déjà imaginer la devanture de leur futur cottage et le nom de leurs douze prochains chats.

Huh-huh, a really cute girl, you say? How’s she? Tell me you’re gonna try to meet her again, right?

I’ll try. Maybe she will be at the festival ! S’exclame-t-elle avec des grandes étoiles dans les yeux, dessine un immense coeur dans le vide avant de le transpercer d’une flèche. She’ll see me playing bass and fall in love in me. Like I’m a rock angel or something. Maybe I can have a bouquet of flowers to throw at the crowd just in case she’s there. Wouldn’t that be punk and romantic ?

Et voilà qu’elle attrape sa guitare, rose et pailletée et couvertes de plein de gribouillages et de stickers et de dessins, pince quelques cordes alors que la pulpe de ses doigts rugit pour un riff endiablé. I know, it’s huge right? I’m pretty I could lose myself too and never be found. And know what? I’m pretty sure I wouldn’t even mind. Et c’est qu’il a pas tort, alors que déjà elle s’éloigne en accordant un peu mieux ses cordes, sans un regard pour les technicien.ne.s qui viennent à peine de poser l’ampli par terre. You’re gonna like it. It’s perfect for you and all that you are on stage. It’s nothing like- the little gigs we did here and there. This? This is the dream.

And it sure looked like the dream. Meaveen tourne son visage vers l’espace vide, celui qui d’ici un moment sera envahi par la foule en délire. Même en se mettant sur la pointe des pieds et en plissant les yeux, elle sait déjà qu’elle pourra pas tout distinguer, que les visages se confondront pour devenir une masse informe qui scandera leurs noms. Appétit vorace se remue en elle, réclame toute cette attention, se veut au centre de tous les regards de ce public qui s’étendra jusqu’à perte de vue. Tout Ceana les entendra, c’est sûr.

Let’s fucking play.

Bruit strident grésille de l’ampli de Vesper et le voilà parti en trombe, suit une mélodie née de son esprit à laquelle Mimi a aucun problème à se greffer.

Let’s - VLAM! - fucking - VLAAM - play ! Répète-t-elle en donnant à chaque fois un coup plus fort sur les cordes de la guitare, puis commence un jeu de doigt qui vient répondre directement à celui de Vesper, rythme qui taquine ses riffs mystiques en devenant de plus en plus agressif. Autocollants de lapins et coeurs dessinés à la main côtoient les stickers de Metallica, Nirvana et The Clash sur la coque de sa guitare rose bonbon, tout son univers à portée de main à mesure qu’elle gratte et gratte les cordes sans répit.

Everyone and… Everyone, Crystal Queer ! Tambourine sur le corps de la guitare en guise d’applaudissement tandis que les doigts de sa main gauche tapent à même les cordes du manche. And a bass solo presented to you by Meaveen Floreees, aka Amethyst!

Amethyst, comme une invocation magique, et la voilà partie pour incendier la scène, tant pis s’il reste plus rien après, mieux vaut partir en flammes que n’avoir aucun impact.

We’re here, we’re queer and we will tear the motherfucking house down !! Rugit-elle dans le micro qu’un pauvre malheureux vient à peine de poser devant elle avant de s’éloigner, effrayé par la puissance vocale de cette petite chose qui deux minutes avant se perdait derrière les caisses et les percussions. Elle tourne sur elle-même une, deux, trois fois en laissant ses mains virevolter, mélodie qui raconte les aventures des bars de Londres et la découverte du rock’n’roll, slap les cordes de temps à autre comme pour marquer le passage d’un chapitre à l’autre, des confins de l’Irlande jusqu’à l’île de Ceana en passant par le van de Vesper, la gratte comme journal intime grand ouvert, la scène comme terrain de jeu.  

Chorégraphie endiablée, sauts frénétiques comme si elle cherchait à réveiller tous les cadavres enfouis sous la scène, sautille comme un lapin de long en large en grattant et pinçant et étouffant et tirant les cordes, sonorités acides et déjantées au rythme effréné. Comme un cache-cache géant dans cette scène encore en mouvement, la grande inspiration avant le sprint final, comme une envie de jouer dans ce playground géant, et la voilà qui commence à se mouvoir entre les silhouettes du staff, tire sur le fil de sa guitare pour pas s’emmêler dedans, s’élève sur les marches d’une échelle qu’on vient de placer pour les éclairages devenue perchoir personnel, et elle continue de jouer de plus en plus vite jusqu’à avoir le son craché par l’ampli saturé, juste comme elle aime.

Dear distinguished guests, let’s hear it for… Vesper !! Vlam, dernier coup sur les cordes avant de passer à un air beaucoup plus lent, le temps de récupérer, doigts viennent taper presque délicatement les cordes au rythme d’un battement de coeur. Mimi se laisse glisser pour s’asseoir sur l’échelle et dépose la guitare sur ses jambes sans s’arrêter de jouer pour autant, prête pas attention aux drôles de grésillements sortants de l’ampli de sa guitare, met ça sur le dos de l’installation encore en cours des équipements.

I can’t wait to play in front of a crowd. No one is ready for Crystal Queer. We will blow their brains out ! Sa main droite quitte momentanément les cordes pour imiter un flingue sur sa tempe alors qu’elle mime une grimace d’enfant. Do you think they’ll shout your name ? Oooooh, maybe they’ll beg for you to throw your shirt or your pants or maybe yourself at them ? No, what if they go absolutely nuts when seeing you onstage ? Ses taquineries s’accompagnent d’un grand sourire et de notes pincées de La et Sol, balance ses jambes dans le vide comme si elle se tenait sur une balançoire, n’attend qu’une chose, déambuler sur la scène sous les cris des fans.